On s'est un temps focalisé sur quelques dispositions symboliques de la loi dite Besson qui n'allaient en fait pas concerner grand monde.
Au fond la loi Besson-Hortefeux-Guéant donne aux préfectures un terrible outil d'épuration ethnique qui peut concerner beaucoup d'étrangers. En vigueur depuis juillet 2011, elle n'a pas encore livré toutes ses ressources, et son « efficacité » dépendra de la volonté politique des préfectures et du Ministère de l'Immigration. La France va-t-elle oser aller jusqu'au bout de l'idéologie xénophobe dont ce texte est issu? Si oui, la France est-elle prête à ressortir ses trains pour emmener des indésirables ? Pour l'essentiel, la réforme généralise la mesure d' « obligation de quitter le territoire » (OQT), rendant marginale la mesure de « reconduite à la frontière » (on joue sur les mots), OQT qui sera désormais susceptible d'être assortie ou non d'un délai de départ volontaire (DDV) voire d'une interdiction de retour (IR) empêchant l'étranger de revenir sur le territoire de l'espace Schengen pendant 2 à 5 ans (d'où l'appellation OQT plutôt que OQTF et IR plutôt qu'IRTF, puisque ce n'est pas seulement de la France que l'étranger est mis dehors, mais de beaucoup plus que ça). Une OQT sans DDV impose à l'étranger de partir immédiatement. Elle ne peut être délivrée à l'étranger que par voie administrative (et non par la Poste, comme c'était habituellement le cas à la suite d'une demande de titre de séjour que l'étranger a faite en confiance à l'administration). La loi indique dans quels cas un délai de départ volontaire peut ne pas être accordé, et globalement, cela concerne la majorité des étrangers susceptibles d'être frappés d'une OQT (notamment ceux qui n'auraient pas de passeport en cours de validité, ou qui n'auraient pas d'adresse effective mais une simple domiciliation, ou encore auraient été précédemment frappés d'une mesure d'éloignement non exécutée). Si donc les préfectures doivent donner en main propre aux guichets leurs décisions les plus brutales, ce n'est certainement pas pour laisser repartir les étrangers préparer leurs valises. Les préfectures peuvent dans ce cas placer en rétention administrative l'étranger (le mettre dans une prison pour étrangers) ou l'assigner à résidence (l'obliger à donner son passeport, à résider à telle adresse, à se présenter régulièrement au bureau de police le plus proche... et ce jusqu'à ce qu'un vol lui soit trouvé). Les mesures d'éloignement forcé seront alors rendues plus effectives puisque : - l'étranger n'aura que 48 heures pour saisir le Tribunal administratif (au lieu d'un mois actuellement) - si le Tribunal n'est pas saisi dans le délai ou s'il confirme la légalité de la décision préfectorale, elle sera mise à exécution aussitôt. Cela signifie qu'un étranger qui, en confiance, tente de faire valoir ses droits auprès d'une administration française en présentant une demande de titre de séjour, peut se voir délivrer un récépissé de sa demande, se présenter en préfecture pour se le voir renouveler pendant l'instruction de sa demande, puis un beau jour, s'y présenter encore mais cette fois ci se voir notifier un refus de sa demande, être placé en rétention administrative et s'il n'y prend pas garde, être reconduit aussitôt dans son pays d'origine. Il existe bien une jurisprudence selon laquelle une arrestation aux guichets de la préfecture n'est pas légale car déloyale, mais elle n'empêchera pas les préfectures de faire ce qu'il faut pour respecter l'esprit de la loi. A l'instar de ce qu'il se passe dans le cadre d'une procédure de réadmission d'un demandeur d'asile qui est convoqué par la Préfecture sans que cela soit considéré comme déloyal et qui se retrouve au gré du temps, susceptible d'être reconduit hors de France à chacune de ces convocations sans trop savoir quand, les préfectures pourront vraisemblablement convoquer les étrangers pour un jour leur remettre un récépissé, un jour le leur renouveler, et un jour encore leur notifier l'OQT sans DDV et leur placement en rétention administrative. C'est brutal, ça fait peur, mais c'est efficace. Si c'est bien ce jeu là que les préfectures jouent, la France aura achevé un édifice que Nicolas SARKOZY avait annoncé vouloir construire dès 2006 lorsqu'il indiquait que « la remise en ordre de la politique française de l'immigration n'en est qu'à ses débuts »... Ce sont quantité de personnes qui aujourd'hui vivent avec nous, travaillent pour nous, s'intègrent chez nous, payent nos retraites, payent notre protection sociale, ont des enfants qui sont sur les mêmes bancs que nos enfants, et qui demain ne seront plus chez nous, mais renvoyés chez eux, ou qui seront toujours chez nous, mais qui se cacherons dans la peur et la clandestinité car elles n'oseront même plus faire valoir leurs droits et présenter une demande à l'administration. Enfin pour pouvoir réellement jouer ce terrible jeu que la loi permet, les préfectures devront s'organiser. Pour emmener un étranger en centre de rétention lorsqu'il a été arrêté en Préfecture, il faut une escorte. Pour éviter de mobiliser une escorte pour un étranger de ci de là, il va falloir convoquer les personnes concernées au même moment, leur notifier les OQT sans DDV et les remettre à une escorte plus nombreuse mais qui ne sera mobilisée que ce jour là. Il va falloir prévoir des bus pour aller au centre de rétention... ou des trains. Il va falloir prévoir des avions, des bateaux, pour ramener tout ces gens dans « leur pays»... ou des trains. Des trains ? Moi, ça me rappelle quelque chose... non ?
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