Les dispositions de l'article 706-71 du Code de procédure pénale sont de plus en plus fréquemment appliquées devant la chambre de l'instruction ou à l'instruction, et pour ce qui me concerne, à Grenoble.
Plusieurs mois de pratique amènent les observations suivantes. L'avocat ne peut être hostile par principe à cette nouvelle façon de rendre la justice puisqu'elle présente de réels avantages. On devrait d'ailleurs obtenir du législateur que soient également mises en oeuvre des visioconférences entre le détenu et son avocat pour éviter des déplacements au parloir. Cet outil de modernisation de la justice doit aussi pouvoir profiter aux droits de la défense. Il ne doit être l'instrument de la seule logique comptable adoptée par le Ministère de la Justice et celui de l'Intérieur qui ont échafaudé un système de récompenses et de pénalités pour la juridiction selon qu'elle atteint ou non l'objectif qu'ils ont fixé d'économie d'extractions grâce à la visioconférence (voir la circulaire du 5 février 2009). La visioconférence doit être réservée aux situations qui la rendent utile ainsi que prévoit la loi et dans un but légitime comme le prévoit la Cour européenne des droits de l'homme. Si un détenu est très éloigné de la juridiction, on peut ainsi lui éviter un long trajet pour parfois bien peu de choses. De même si son état physique ne permet pas le trajet. Aujourd'hui, ce sont tous les détenus, quelles que soient les circonstances, qui peuvent être privés d'être physiquement présents là où se joue leur liberté ou leur accusation. Or il ne peut y avoir de justice digne de ce nom lorsque le justiciable pixélisé est le spectateur de son procès en 16/9ème, procès dans lequel sa liberté se discute en un lieu où il ne peut être physiquement. La profession d'avocat ne peut sans résistance accepter cette justice totalement déshumanisée pour laquelle l'on ne peut qu'éprouver de la honte. 1. LE PRINCIPE DU CHOIX DE LA VISIOCONFRENCE Le détenu et son avocat ne sont pas consultés sur le principe même de la visioconférence, le Code ne le prévoyant pas. S'il a déjà comparu devant la chambre de l'instruction dans les 4 mois précédents, le détenu est déjà privé de pouvoir physiquement être présenté aux juges qui décident de sa liberté puisque s'il demande à comparaître le Président peut (et va) l'en dispenser. Les seules fois où sa comparution est de droit, il est assez scandaleux qu'il ne puisse être présenté à ses juges par la décision du Président d'avoir recours à la visioconférence.. A terme, entre les détenus qui ne seront pas extraits parce que la présence aura été dispensée par le président de la chambre de l'instruction, et ceux qui ne le seront pas non plus du fait du recours à la visioconférence, la chambre de l'instruction ne verra plus aucun détenu, ces êtres qu'elle ne saurait voir, les dossiers étant bien suffisants! Le seul choix qu'il reste est à l'avocat est celui qu'il doit faire entre se trouver aux côtés de son client en détention ou face aux magistrats. S'il souhaite être avec le juge, il doit demander à avoir un entretien avec son client par visioconférence. S'il souhaite être avec son client, il doit préciser s'il souhaite copie de la procédure en détention avant l'audience. S'il fait ce choix, l'envoi du dossier peut parfois être difficile sauf si la procédure est numérisée, auquel cas, le cd rom est à la disposition de l'avocat qui peut le consulter en détention sur l'un des ordinateurs du parloir avocat ou son propre ordinateur portable. Si le dossier n'est pas numérisé, que l'avocat souhaite être avec son client en détention, et qu'il ne renonce pas à la copie du dossier, la visioconférence peut alors être annulée et l'audience reportée à une date ultérieure selon une procédure « traditionnelle ». C'est ainsi que l'avocat peut empêcher la visioconférence si son client préfère être présent à l'audience de la chambre de l'instruction. De même, le détenu peut refuser à l'instruction de s'exprimer dans le cadre d'une visioconférence, exerçant ainsi son droit au silence, droit issu de l'article 6 de la CEDH. Ne serait-il pas plus simple de fixer avec les magistrats une charte de l'usage de la visioconférence? Cette charte poserait les principes selon lesquels elle peut être utilisée en accord avec le détenu. Sans cela, l'instruction ou l'audience sera nécessairement polluée par des discussions vaines sur le caractère équitable du procès. 2. LES CONDITIONS MATERIELLES DE LA VISIOCONFERENCE Il faomprendre que le détenu de sa place, voit sur un écran les magistrats, qui munis de micros, font leur audience. Il les voit de profil sauf lorsqu'ils daignent de temps à autres tourner la tête en direction du principal intéressé. Parfois il entend une voix, sortie de nulle part, celle de l'avocat général qui n'apparaît à l'écran qu'au moment de son réquisitoire et non à chacune de ses interventions les plus brèves et les plus intempestives. S'il n'a jamais eu à connaître de la chambre de l'instruction, il n'a aucune lisibilité de ce qui se joue. Sans compréhension de ce qu'il voit de sa prison sur cet écran, sans considération de la part de la juridiction qui ne souhaite pas le voir autrement qu'en duplex et en direct de la maison d'arrêt, le justiciable ne peut qu'avoir du dégoût, l'éventuel public, un malaise, son avocat, de la honte. Souvent, au cours du recueil en visioconférence de la parole du détenu, un membre de l'administration pénitentiaire est présent dans la salle d'enregistrement à la maison d'arrêt pendant toute la retransmission. Ceci est assurément contraire aux consignes données dans le mémento d'utilisation de la visioconférence fourni par le Ministère de la Justice. Dans le mémento précité, on détaille même la façon de procéder pour que la visioconférence soit conforme aux prescriptions réglementaires : « le personnel pénitentiaire n'est pas, sauf exception et nécessités de sécurité, physiquement présent aux côtés du détenu pendant l'audition, l'interrogatoire ou la confrontation. Une surveillance visuelle doit être assurée (salle permettant une surveillance externe voire une caméra sans son » « Cependant, pour des nécessités de sécurité, détenu dangereux pour lui-même ou pour autrui, et, de manière exceptionnelle, le président qui a la police de l'audience et la direction des débats, peut estimer nécessaire la présence d'un personnel pénitentiaire. Il peut être amené à prendre cette décision au vu des éléments du dossier ou suite à un entretien avec l'administration pénitentiaire. » Or si aucun élément du dossier ne permet de penser que le détenu soit dangereux pour lui-même ou pour autrui, il doit être seul dans cette salle, sauf la présence éventuelle de son avocat s'il a choisi d'être dans la prison. L'article R 53-38 du CPP prévoit que la retransmission des déclarations du détenu doit être loyale et confidentielle à l'égard des tiers. Le personnel de l'administration pénitentiaire est tiers à la procédure, et même en cas de publicité de l'audience, il n'a pas à être présent dans la salle de visioconférence. C'est contraire à l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que la cause du détenu n'a pas été entendue équitablement. Comment en effet imaginer que le détenu puisse librement s'exprimer auprès de ses juges en présence constante d'un représentant de l'administration pénitentiaire ? Comment peut-il notamment aborder ou faire aborder par son conseil les difficultés qu'il rencontre au quotidien en détention et qui justifient sa demande de mise en liberté ? Imaginons un détenu qui souffre de calculs rénaux chroniques qui ne sont absolument pas traités de manière satisfaisante par la médecine pénitentiaire en dépit de ses demandes répétées et qui souffre désormais en silence. Imaginons qu'il soit aussi victime de viols de la part de son codétenu en parfaite connaissance de certains membres de cette administration comme cela s'est déjà vu par le passé. Pourra-t-il s'exprimer librement dans la salle de visioconférence? L'iniquité de la procédure ainsi menée s'illustre parfaitement à l'aune du récent rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté qui pointe la tension extrême existant entre les détenus et les personnels de l'administration pénitentiaire dans des lieux de détention aussi problématiques que peut l'être la maison d'arrêt de Varces ces derniers mois. La question ne s'est pas posée qu'en France puisqu'avant nous, des pays comme l'Inde ont voulu résoudre les problèmes de leur justice pénale par l'usage immodéré de la visioconférence et les organisations de défense des droits de l'homme ont constaté des dérives dont notre système n'est pas plus protégé. (L'ONG Human Rights Features constate que la production physique du détenu devant un magistrat est vitale considérant la fréquence troublante des décès, tortures, viols et autres abus durant la détention. La caméra ne protège pas de l'intimidation des gardiens. Elle ne fournit pas l'appui moral de la présence des proches au tribunal. Et, l'ONG rappelle que, filmé en prison, le détenu souffre déjà d'une image négative devant les magistrats.) Nous sommes en France, mais de la même manière la caméra ne protège pas de l'intimidation du membre de l'administration pénitentiaire, par gestes ou attitudes dont la juridiction ne peut être témoin puisque à l'écran, cette personne n'apparaît jamais. La retransmission des déclarations du détenu n'est pas loyale du fait de la présence irrégulière d'un membre de l'administration pénitentiaire. La retransmission n'est pas plus confidentielle à l'égard des tiers, alors même que cette confidentialité s'imposait, même en cas de publicité des débats devant la chambre de l'instruction. Si les débats sont publics en salle d'audience, ils ne sont évidemment pas publics à la maison d'arrêt, sans quoi, il faudrait ouvrir les portes de la salle de visioconférence et de la maison d'arrêt ! Quoiqu'il en soit, l'exigence n'est pas celle de la confidentialité des débats de la chambre de l'instruction mais bien celle de la confidentialité de la retransmission des déclarations du mis en cause à l'égard des tiers. Un pourvoi est en cours contre une décision de la chambre de l'instruction de Grenoble qui n'a vu aucune difficulté à ce qu'un gardien soit dans la salle avec un détenu, détenu à Varces qui saisissait pour la 1ère fois la chambre de l'instruction et n'aura pas eu le privilège de rencontrer ses juges qui décidèrent pourtant de sa privation de liberté. Qu'en dira la Cour de cassation, rien n'est moins sûr... Il est encore temps de parler aux juges avant que les habitudes ne soient prises et que plus personne ne s'émeuve de ce qui est une véritable honte. Il est encore temps de les exhorter à ne pas céder à la logique comptable dans laquelle le Ministère de la Justice les pousse à se perdre. Tandis qu'ils se perdent, l'audience perd de sa solennité, la justice perd de son humanité.
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Décembre 2023
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