Soyons clairs. A moyens constants, voire dans un esprit de réduction d'effectifs et de budgets, toute réforme suggérée dans le rapport de la commission Léger est vaine.
Une fois mise de côté la transformation du juge d'instruction en Juge de l'Enquête et des Libertés ou sa suppression (selon les points de vue), le rapport, tout médiocre qu'il soit, permet d'imaginer une autre justice pénale. Fermons les yeux et imaginons ensemble une audience correctionnelle où chacun est à sa place, l'accusation et la victime dans leurs rôles, la défense dans la plénitude du sien, les magistrats du siège sur leur siège. Le procureur accuse, il est là pour ça et sa parole ne vaut que pour ce qu'elle est. La défense mène également les débats, procède aux interrogatoires de ses témoins, aux contre-interrogatoires de ceux du parquet. Le siège écoute et se laisse convaincre... ou pas. Il posera in fine les questions qui auront été négligées par ceux qui, désormais, mènent les débats. L'apparence d'impartialité (aussi nécessaire à l'équité d'un procès que l'impartialité elle-même) est plus évidente maintenant que le Président ne dirige plus les débats. Le rôle de l'avocat est fondamental. Il apprendra les techniques d'interrogatoires qui ne lui sont d'ailleurs pas totalement étrangères. Gardons nos yeux fermés, nous sommes à la Cour d'assises. L'accusation présente ses charges en début d'audience, la défense fait de même avec ses moyens de défense. Le greffe et le siège sont taisants. Ils ne sont plus là pour ça. Le greffe prend en sténo tout ce qui se dit pour le cas d'un appel, un enregistrement audio aidera aussi pour le cas d'un procès en révision. Voila, ça ne coûtait pas grand chose, et ça changera beaucoup. Bien sûr, il y a aussi ces idées contre lesquelles il faut lutter. Le rapport Léger, c'est un procès pour viol devant un tribunal correctionnel. Oui, oui, pour viol, vous avez bien lu. On est ravi d'apprendre qu'entre 75% et 83% des viols (selon qu'ils soient aggravés ou pas) sont punis de peines inférieures ou égales à 10 ans. De là à en faire un délit qui n'ose pas dire qu'il n'est plus un crime... Le rapport Léger, c'est être placé en « retenue judiciaire » pendant 6 heures lorsqu'on était jusque là placé en garde à vue avec les droits qui allaient avec. Forcément, vu que l'on accroît les droits du gardé à vue, il fallait réduire les contraintes de la garde à vue, d'où cette idée fumeuse. Le rapport Léger, c'est le développement de l'échevinage, pour une justice moins chère, une justice plus proche du peuple... vous savez comme les juges de proximité sont proches du peuple, moins chers et aussi efficaces qu'un magistrat professionnel... Il faut lire le rapport Léger pour comprendre pourquoi il n'y a pas que la mort du juge d'instruction qui fait débat, mais bien plus. D'ailleurs, ce juge d'instruction, il nous divise. Faut-il le supprimer ? Faut-il le transformer en juge de l'enquête et des libertés ? Quoiqu'il en soit, il est bien possible qu'il nous manque peu. Le J.E.L. sera-t-il aussi inefficace dans sa mission qu'un juge des libertés et de la détention a pu l'être? Est-il davantage un rempart contre l'arbitraire et le pouvoir politique qu'un procureur de la République ? La question est sans doute moins celle de l'illusoire indépendance du parquet à l'égard du pouvoir exécutif que celle du nécessaire cloisonnement entre le parquet et le siège. Les pauvres seront-ils moins bien défendus que les riches ? Sans doute pas moins qu'actuellement. Les investigations seront toujours menées par la police sous la direction du parquet et comme on pouvait demander des actes au juge d'instruction, on les demandera au parquet ou on les lui fera imposer par le J.E.L. Rien de mieux mais rien de pire que par le passé. Constatons que le parquet fait déjà son travail dans 95% des affaires, et pas des moindres, sans juge d'instruction et que lorsqu'il fait mal son travail, le tribunal est là pour en tirer les conséquences. Fermons les yeux, nous sommes maintenant avec le juge de l'enquête et des libertés qui au cours d'une audience publique tranchera la question de l'iniquité de l'enquête et de la nécessité des actes que l'on demande en défense, ou encore du scandale d'un refus d'enquêter ou de poursuivre dans des affaires que le maladroit parquet voudrait enterrer. C'est séduisant. Mais comme bien des idées séduisantes, elles peuvent mal finir. C'était séduisant de négocier sa peine dans le cadre d'un « plaider coupable » à la française... et nous avons eu la CRPC ! Que peu ou prou, on propose dans le rapport Léger d'adapter pour les crimes... Il y a bien un fourmillement intellectuel autour de la procédure pénale qui tarde à être vraiment réformée en profondeur. Pourquoi ne pas s'en saisir ? Plutôt que de hurler d'horreur et de désespoir en lisant Léger, proposons mieux. Fermons les yeux et imaginons notre procès pénal idéal, équitable, enfin.
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Le blogActualité juridique par Claude COUTAZ, avocat. Archives
Décembre 2023
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